Le SIDA, 40 ans après
Le Virus de l’Immunodéficience Humaine (VIH) responsable du SIDA a été découvert il y a exactement 40 ans par une équipe Française dirigée par Françoise Barré-Sinoussi, Jean-Claude Chermann et Luc Montagnier. Cette découverte vaudra à Mme Barré-Sinoussi et M. Montagnier d’être récompensés du prix Nobel de médecine en 2008. Retour sur 40 ans de recherche médicale.
En juin 1981, le Centre de Contrôle et de Prévention des Maladies des Etats-Unis recense une augmentation significative du nombre patients immunodéprimés. L’institut Pasteur observe également cette inquiétante augmentation en France un an plus tard.
L’étude clinique des patients révèlent plusieurs informations. Tout d’abord, une baisse drastique des lymphocytes T est observée. Ces cellules du système immunitaire sont impliquées dans la lutte contre les virus et les cancers. De plus, cette maladie encore inconnue se transmet selon trois voies possibles : par voie sanguine, par voie sexuelle via les sécrétions génitales ou par transmission de la mère à l’enfant pendant la grossesse, l’accouchement ou l’allaitement. Cette donnée clinique amènera les chercheurs à conclure à une cause infectieuse, plus particulièrement virale, pour expliquer la transmission de cette maladie. Le 4 février 1983, l’institut Pasteur parvient à isoler et observer pour la première fois le virus à partir de cellules prélevées dans les ganglions lymphatiques d’un patient atteint et le baptise VIH pour Virus d’Immunodéficience Humaine.
Ce virus, s’il n’est pas identifié et traité à temps, entraîne une infection chronique responsable de l’immunodépression observée depuis 1981 par les personnes atteintes. La maladie engendrée par le VIH est alors baptisée SIDA, pour Syndrome d’ImmunoDéficience Acquise. Celle-ci évolue en trois étapes. La primo-infection, de quelques semaines à quelques mois, est la phase au cours de laquelle le virus envahit l’organisme, jusqu’à la colonisation complète des organes abritant les cellules du système immunitaire. La phase asymptomatique, de cinq à dix ans, durant laquelle la personne atteinte ne présente aucun symptôme clinique, hormis une inflammation des ganglions ainsi qu’une chute lente et régulière du taux de lymphocytes. La phase d’accélération, durant laquelle le virus se multiplie de façon importante, conduisant à une chute très rapide des lymphocytes. Ainsi, en l’état, les patients ne décèdent pas du SIDA mais des complications liées à l’immunodépression.
On sait maintenant que le virus touche l’ensemble de la population humaine et pas seulement la communauté homosexuelle ou les usagers de drogues contrairement à ce que les médias des années 80 ont pu annoncer. Grâce aux recherches médicales menées depuis sa découverte, le VIH n’entraîne aujourd’hui le SIDA que dans de très rares cas. L’association de plusieurs antirétroviraux, généralement au nombre de trois (trithérapie), empêche la multiplication du virus et l’apparition de résistances. Ces traitements ne permettent donc pas de détruire le VIH mais de réduire drastiquement la charge virale qui devient alors quasiment indétectable et empêche sa transmission.
Bien qu’il soit maintenant possible de se prémunir d’une contamination, notamment à l’aide des préservatifs ou des traitements prophylactiques (PrEP), il est nécessaire de rappeler qu’environ 5000 personnes sont dépistées positives au VIH tous les ans en France. N’hésitez pas à vous tourner vers un centre de dépistage gratuit, tel que le CeGIDD à Cherbourg, pour vous tester de façon anonyme. Le premier maillon de la chaîne de prévention est la détection de l’agent infectieux pour arrêter sa transmission et entamer une trithérapie à temps.
Sutor, ne supra crepidam !
Les Français Françoise Barré-Sinoussi et Luc Montagnier reçurent le prix Nobel de médecine en 2008 pour cette découverte. Alors que la première n’est que peu connue du grand public, le second est devenu en quelques années une figure scientifique connue pour ses déclarations pseudo-scientifiques, notamment pendant la pandémie de covid-19. Qu’est-ce que la « nobélite », ou « maladie du Nobel » dont il souffrait ?
La « maladie du Nobel » est un syndrome métaphorique popularisé par David Gorski, oncologue américain ayant décidé de lutter contre la désinformation scientifique. Tendance de certains scientifiques à devenir défenseurs de théories pseudo-scientifiques ou complotistes après avoir reçu le prix Nobel, la « nobélite » est un cas particulier d’ultracrépidarianisme, touchant des scientifiques spécialistes d’un domaine, jusqu’alors inconnus du grand public et soudainement popularisés par leur récompense. Ils peuvent avoir le sentiment de pouvoir s’exprimer sur des sujets extérieurs à leur domaine d’expertise pour lesquels ils n’ont aucune connaissance. De plus, la médaille leur donne un argument d’autorité et leur parole devient audible de tou-te-s.
Luc Montagnier n’a pas échappé à cette « maladie », notamment en soutenant l’existence de la « mémoire de l’eau » – pseudo-théorie tentant de donner du crédit à l’homéopathie -, en avançant plusieurs arguments anti-vaccins tous réfutés par la communauté scientifique ou, plus récemment, pendant la pandémie du covid-19 en affirmant que le virus du SARS-CoV-2 était une création humaine issue de manipulation du virus du VIH en laboratoire, sans aucun fondement ni preuve scientifique.
Cette « maladie » met en exergue une confusion du grand public quant aux notions de « Science », de « scientifique » et de « méthode scientifique ». La Science est l’ensemble des connaissances acquises sous forme de prédictions testables et réfutables. Les scientifiques quant à eux utilisent un ensemble d’outils logiques, la méthode scientifique, pour faire évoluer cet ensemble des connaissances. L’une des conditions sine qua non à la méthode scientifique est la réfutabilité : un énoncé irréfutable car invérifiable n’a aucune valeur scientifique. Lorsqu’un-e scientifique lauréat-e du Nobel affirme sans preuve un fait scientifique, il faut alors le réfuter… Sans preuve !
La tendance à l’ultracrépidarianisme de certain-e-s scientifiques ou de certaines figures d’autorités d’une part et notre attrait naturel pour le discours de ces dites figures d’autorité d’autre part est une réelle menace pour nos sociétés. Combien de parents ont préféré ne pas vacciner leur enfant face aux positions anti-vaccin de Luc Montagnier ? Combien de malades du covid-19 ont préféré se soigner à l’aide du traitement à l’hydroxychloroquine du Professeur Didier Raoult plutôt que de se vacciner, malgré l’augmentation des risques cardiovasculaires de ce traitement ?
Quantifier ces questions est évidemment impossible. Cependant, l’un des moyens de lutter contre l’ultracrépidarianisme est de douter des discours de tou-te-s les scientifiques, surtout lorsque ces discours flattent nos croyances. Cependant, ce doute doit s’exercer de façon raisonnable et méthodique, au risque de sombrer dans le complotisme.