A bien des égards, l’intelligence et l’habileté de la pieuvre est démontrée. Mais des chercheurs ont récemment découvert qu’elle serait même en mesure de réécrire ses gènes pour s’adapter à la température de l’eau !
C’est en étudiant le système nerveux de pieuvres depuis leurs laboratoires de Tel Aviv et de Falmouth, que le biologiste Joshua Rosenthal et le biophysicien Eli Eisenberg, ont découvert à quel point ces céphalopodes ont la capacité de modifier leur ARN messager sans commune mesure avec les autres êtres vivants. Les résultats de cette étude ont été publiés le 8 juin dernier dans la revue Cell.
Les deux chercheurs ont capturé des spécimens de pieuvres à deux points dans le cadre de cette étude, une espèce qui vit dans l’océan Pacifique, dont l’eau présente la particularité de changer grandement de température entre les saisons. Les animaux ont été placés dans des aquariums dans lesquels les scientifiques augmentaient et abaissaient alternativement la température de l’eau.
Suite à ces variations de températures, ils ont prélevé et analysé les ganglions stellaires du système nerveux des pieuvres. C’est en effet dans cette zone que l’ARN messager, la molécule messagère faisant le lien entre l’ADN et la production de protéines, a le plus de chances de subir des modifications. Plus précisément, et avant de se traduire en protéines, l’ARN peut subir des mutations par des enzymes nommées ADAR.
A la différence d’une mutation d’ADN (qui permet à l’organisme de s’adapter au fil des générations), il s’agit ici d’un processus rapide sur l’ARN qui permet d’apporter des modifications temporaires visant à s’adapter aux changements environnementaux. C’est donc par une force externe que certains enzymes s’activent pour venir modifier chimiquement l’ARN.
Le résultat de leur étude confirme que l’édition de l’ARN de l’animal réagit en quelques heures seulement à la température de l’eau, avec un effet accentué lorsque celle-ci se refroidit. En effet, sur les dizaines d’animaux étudiés, le niveau d’édition d’ARN s’est révélé nettement supérieur dans de l’eau refroidie à 13° que dans le l’eau réchauffée à 22°, dans laquelle le taux d’édition d’ARN demeure néanmoins d’environ 1%.
Ce processus « d’édition », s’il reste rare, est déjà connu chez l’ensemble des êtres vivants. Mais les céphalopodes présentent la particularité de recourir à ce processus de manière beaucoup plus récurrente que les autres animaux et avec une efficacité redoutablement supérieure. Dans le cas présent, cette spécificité fait face à la particularité de ces animaux d’être poïkilothermes : leur température corporelle varie en fonction de leur milieu, contrairement à l’Homme qui est capable de réguler sa propre température. Ainsi, l’animal n’étant pas en mesure de réguler sa température en autonomie, ce sont les enzymes ADAR qui agissent pour adapter leurs protéines.
Selon les chercheurs, dans le système nerveux de certains calamars, jusqu’à 60% des échanges d’ARN messagers seraient changés avec ce processus d’édition. En comparaison, lorsque l’Homme a recours à ce processus, l’édition de l’ARN affecte la production de protéines dans moins de 3% de leurs gènes.