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Si vous avez déjà longé la “route touristique”, voie parcourant le littoral du Cotentin, vous connaissez ses panneaux typiques indiquant “La Mer”. Mais une direction particulière a pu retenir votre attention : “Lindbergh-Plage”. Lindbergh ? C’est ni un ruisseau ni un cap local, alors à quoi ce nom fait-il référence ?

Lindbergh nous renvoie presque cent ans en arrière, et surtout dans le monde aussi fascinant techniquement que rocambolesque de celles.ceux que l’on nomme les pionniers et pionnières de l’aviation (constructeurs et pilotes), tel que Charles Lindbergh !

Le début du XXème siècle est en effet marqué par le développement de la capacité des humains à projeter des objets, et se projeter, dans les airs, et à une vitesse toujours plus grande. Suite au premier vol d’un engin motorisé plus lourd que l’air, l’Eole, de l’ingénieur haut-garonnais Clément Ader en 1890, l’aviation ne va dès lors cesser de repousser ses limites. Ces engins motorisés volants vont rapidement passer du statut de jouet pour ingénieur rêveur à une arme indispensable : augmentés d’appareils photographiques pour mesurer et repérer, ou bien de bombes et mitrailleuses. Ainsi boosté par la Première Guerre Mondiale (où la compétition scientifique et technique entre les forces opposées est une part importante de la stratégie de guerre), l’entre-deux-guerres est une période de records et premières pour l’aéronautique “commerciale” ; qui se joue principalement entre français, américains, britanniques, et brésiliens.

Les prémices de l’aviation de chasse en 1915

Toutefois, la guerre terminée, deux grandes villes majeures entre l’Amérique du Nord et l’Europe n’ont pas encore été reliées par avion. Le record officiel de distance, établi par un français en 1913, est d’un peu plus de 1000 km. On est donc loin des 6000 km séparant la côte Est des Etats-Unis de la France. Un hôtelier de New York (mais béarnais), Raymond Orteig, décide alors d’encourager les “as” — ces pilotes victorieux de la Première Guerre Mondiale — et les constructeurs en plein essor à fabriquer l’avion qui reliera sa ville à Paris sans escale (dans n’importe quel sens de traversée). En 1919, il offre un prix de 25000$ (ce qui représente en dollars actuels plus de 350000$ !) à la personne qui réussira ce challenge dans les cinq années suivantes, tandis que l’Aeroclub of America se charge de rédiger les règles de ce Prix Orteig. Dans le contexte de cette année-là, préciser que le trajet doit se faire entre New York et Paris avait son importance car dans les faits l’Atlantique Nord a été traversé pour la première fois par des Britanniques, Alcock et Brown, depuis Terre-Neuve jusqu’à l’Irlande (soit, une distance d’environ 3000 km) en juin 1919. Avec leur avion bi-moteur, deux fois plus de chances de rentrer avec un moteur en état de marche, mais également deux fois plus de risque d’avoir des problèmes : pris dans une tempête de neige, de la glace s’est formée dans les carburateurs, c’est Brown qui est allé l’enlever à plusieurs reprises au couteau en marchant sur les ailes, elles aussi verglacées, et se tenant au mât. Ces records avaient surtout le rôle d’essais grandeur nature, mais les pilotes savaient qu’ils ne seraient pas forcément ceux qui les répèteraient pour confirmer l’expérience.

21 septembre 1926, René Fonck et son équipe n’arriveront pas à quitter l’aérodrome Roosevelt, NY, pour tenter de remporter le Prix Orteig. Le Bureau des Archives des Accidents d’Avions américain estime que l’avion de Fonck était en surcharge.

En 1925, le Prix Orteig n’a toujours pas été remis, par faute de succès sur cette traversée aérienne. Raymond Orteig remet sa somme en jeu. Et jusqu’en 1927, tous les concurrents échouent, se crashant le plus souvent au décollage. Charles Lindbergh, américain âgé de 25 ans, ingénieur en mécanique et pilote depuis sa sortie d’école (pour l’armée puis pour une compagnie nationale de transport de courrier), se lance alors dans la compétition. Il contacte plusieurs constructeurs, qui refusent pour son délai de trois mois et son petit budget. Jusqu’à ce que l’un des fondateurs de la Ryan Aircraft Company, petit atelier de San Diego (Californie), réponde à son télégramme : “on le fera pour deux [mois]”. Afin de respecter le budget, Lindbergh et Donald Hall (chef ingénieur de la Ryan) modifient le moins possible le design d’un modèle existant de l’entreprise, le Ryan M-2, reconnu fiable aux Etats-Unis. Soixante jours plus tard, le “Spirit of Saint Louis” sort du hangar de San Diego : moteur en étoile de 223ch, 14m d’envergure, et deux réservoirs de carburant (pour couvrir la distance). Comme la plupart des engins de cette période, la structure est principalement faite en bois et recouverte de toile ; les techniques de production et travail de l’acier ou de l’aluminium étaient peu maîtrisées et plus chères. Avec une aile haute, Lindbergh ne dispose pas de pare-brise pour regarder droit devant, un des techniciens ayant servi sur des sous-marins (une technologie aussi en développement) élabore alors un périscope pour permettre au pilote d’éviter les mâts ou les arbres qui pourraient se trouver devant lui.

Le 20 mai 1927, Lindbergh décolle de l’aérodrome Roosevelt, NY, pour Le Bourget. S’il a tracé sa route la veille en fonction des dernières prévisions météo, un peu comme il le ferait pour la navigation hauturière, en vol il se repère grâce au compas magnétique à induction terrestre, et au temps passé donc la distance parcourue estimée en fonction du cap tenu. Malgré le mauvais temps et la fatigue, il finit par apercevoir les côtes irlandaises, puis Cherbourg, et enfin ce qui est aujourd’hui la Nationale 13 allant jusqu’à Paris. Le repère visé n’est d’autre que la Tour Eiffel puisqu’il connaît vaguement la position de l’aéroport du Bourget au Nord Est de la capitale. Il atterrit le soir du 21 mai, après plus de 33 heures de vol — sa cabine spartiate et l’instabilité de l’avion lui auront permis de rester éveillé tout ce temps, incroyable ! Une foule de plus de 100000 personnes est venue l’accueillir sur place. Notre plage Lindbergh dans tout ça ? La légende locale veut qu’un paysan aurait entendu le Spirit of Saint Louis passer le 21 mai, mais c’est impossible vu la route de Lindbergh. Par contre, le pilote atterrit deux semaines plus tard à l’aérodrome de Lessay. Un promoteur profita de l’aura de l’événement et de l’exploit du 20-21 mai pour renommer la plage voisine et ainsi en faire profiter le développement local.

A explorer :
> Vidéos de l’époque:
https://www.francetvinfo.fr/replay-jt/france-2/13-heures/dans-le-retro-charles-lindbergh-premier-homme-a-traverser-l-atlantique-en-aeroplane_3973159.html
> Détails sur les instruments et le vol de Lindbergh:
https://www.aerovfr.com/2017/05/new-york-paris-par-charles-lindbergh/
> La construction de la réplique du modèle piloté par Roland Garros en 1913:
http://replicair.fr/avions/morane-saulnier-type-g/morane-construction/

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