Quel que soit notre âge et nos usages de la route, la conduite des séniors est sujette à débat, chacun y allant de sa propre opinion en se basant principalement sur ses observations personnelles. Puisque la thématique semble si controversée, la société française de gériatrie et de gérontologie (SFGG) a cherché à l’éclairer avec les données épidémiologiques à disposition lors de son événement annuel « Les printanières » le 9 mars 2023.
Il est aujourd’hui établi que le vieillissement entraîne des altérations physiologiques objectivées, tel qu’un ralentissement psychomoteur, des difficultés d’attention divisée, une baisse d’acuité visuelle, une sensibilité plus importante à l’éblouissement ou encore une diminution de la coordination motrice. Ces facultés sont toutes indispensables à la conduite, il semblerait donc logique que les séniors soient davantage responsables d’accidents de la route… or il n’en est rien : les conducteurs les plus accentogènes, toutes situations confondues, sont de loin les 18-25 ans. Il est tout de même important de souligner que les personnes âgées causent plus d’accidents lorsqu’elles doivent changer de voie car cela mobilise davantage de ressources cognitives et une prise de décision rapide. Mais même dans ce cas spécifique, les conducteurs âgés contribuent essentiellement à leur propre décès du fait de leur plus grande fragilité.
Pour aller plus loin, les épidémiologistes ont cherché à expliquer ce constat contre-intuitif : il s’avère que les personnes âgées ont spontanément tendance à sécuriser leur conduite en l’adaptant à leur santé. Concrètement, par une diminution du temps de trajet et/ou de la vitesse, en circulant quasi-exclusivement sur des trajets du quotidien, en préférant conduire avec des conditions favorables (de jour, quand il y a moins de circulation, sous une bonne météo) et en évitant les intersections dangereuses quitte à faire des détours.
Ceci étant, les maladies neurodégénératives sont un cas à part. Le 28 mars 2022, un décret établit la liste des pathologies incompatibles avec la conduite, dans lequel il n’est nulle mention de l’âge mais de l’état de santé du conducteur. Ainsi, les maladies d’Alzheimer et apparentées ainsi que la maladie de Parkinson sont explicitement annoncées incompatibles avec la conduite, même en stade précoce. S’il n’est pas possible d’appliquer la même politique d’auto-déterminisme qu’avec les séniors valides, c’est en raison d’un symptôme très fréquent dans ces maladies : l’anosognosie. Le malade est incapable de constater et comprendre ses pertes de facultés ; ainsi il va se percevoir bon conducteur malgré la majoration des troubles, entraînant un risque accru d’accident. Ce sont en général ses proches qui s’alertent en observant un enchaînement de petits événements indésirables comme des accrochages, un non-respect d’un élément du code de la route, une perte de repère dans un endroit connu…
La solution évidente semble être la mise en place d’une visite médicale obligatoire. La France est un des rares pays européens à garantir le permis de conduire à vie, sans être conditionné à une visite médicale régulière. Instaurée dans de nombreux pays européens depuis de nombreuses années, les études épidémiologiques ont pu évaluer son impact sur la sécurité routière. Quelles que soient les modalités d’examen (liées à l’âge, en consultation médicale, par des tests psychotechniques, bilan ergothérapeute, …), les visites médicales généralisées à la population n’ont pas montré d’effet significatif de la diminution des accidents alors qu’elles ont un coût financier important.
Une autre marge de manœuvre réside dans la sécurisation du véhicule. Les progrès des organes de sécurité de nos voitures participent activement à l’amélioration des chiffres de la sécurité routière depuis l’introduction de la ceinture de sécurité, que ce soit grâce au perfectionnement des outils qui interviennent directement en cas d’accident (carrosserie, airbag) ou grâce aux options de conduite qui assistent les conducteurs (aide au maintien dans la voie, régulateur de vitesse, …). Pourtant les personnes vieillissantes conservent le plus longtemps possible leur voiture, surtout quand son utilisation se réduit. Si l’accessibilité d’une maison est questionnée lors d’un déménagement d’un sénior, il semble moins évident que le changement de voiture soit étudié sous un prisme utilitaire. L’établissement d’un cahier des charges « de la voiture du sénior » et un accompagnement à l’utilisation des options de conduite – dont les séniors sont souvent méfiants – semblent être des pistes intéressantes à explorer.
Je doute de ma conduite, que faire ? Quel que soit notre âge, selon nos usages – ou l’absence de nos usages – nous pouvons parfois douter de nos capacités à toujours être un.e bon.ne conducteur.trice. [Sur ce point, il est intéressant de noter que les hommes surévaluent la qualité de leur conduite, bien plus que les femmes, bien que les chiffres des accidents soient très largement en leur défaveur] Que faire dans ce cas ? Il est toujours possible de demander une consultation avec un·e médecin agrée·e (36€). A savoir que si la demande émane de la personne elle-même, le permis ne pourra pas lui être retiré même si le·la médecin estime que la conduite n’est plus sûre. Le meilleur moyen reste toutefois la réalisation d’un audit de conduite dans une auto-école. Le ou la moniteur·rice évalue les capacités en situation réelle et cela peut permettre de mettre à jour ses connaissances sur le code de la route via quelques leçons.
Je doute de la conduite de mon proche, que faire ? Un an après la parution du décret du 28 mars 2022, la colère des associations et des familles de malades reste vive. En effet, celui-ci ne prévoit aucune procédure claire sur les actions à mener par chacun, notamment quand le malade n’est pas en mesure d’estimer ses propres capacités de conduite. De plus, les solutions alternatives pour pallier l’arrêt de la conduite en sont toujours au point mort. Depuis ce décret, un conducteur responsable d’un accident peut voir son assurance se dédouaner s’il est établi qu’il souffre d’une pathologie indiquée par cette loi. Concrètement, les familles sont confrontées au choix cornélien de préserver la liberté de leur proche au détriment du risque encouru par les autres usagers de la route. Le·la médecin traitant est alors un·e allié·e précieux·euse, qui pourra expliquer cet interdit. En dernier recours, il est possible de dénoncer anonymement le permis de son proche à la préfecture, entraînant la passation obligatoire d’une visite chez un·e médecin agréé·e. Contrairement à une passation volontaire, le permis est retiré s’il est déterminé que la personne n’est plus en mesure de conduire sans mettre en danger les autres usagers et elle-même.