Crush ou crash pour la St-Valentin 2046 ?
Voici quelques jours, une équipe d’astronomes du programme MAP alerte sur la possible collision d’un astéroïde avec notre planète. Derrière ce scénario pour le moins alarmiste et derrière bon nombre de titres d’articles les plus effrayants les uns que les autres, que sait-on exactement ?
C’est un astéroïde d’environ 50 mètres de diamètres qui a été découvert par Georges Attard (informaticien français qui a développé de nombreux algorithmes de traitement d’image ainsi que des logiciels de cartographie numérique et d’imagerie satellitaire) et Alain Maury (astronome français ayant découvert de nombreux astéroïdes dont 3780 Maury mais aussi des comètes dont 115P/Maury).
C’est un astéroïde géocroiseur du groupe Aton, baptisé 2023 DW. Arrêtons-nous quelques instants sur ces termes.
Un objet géocroiseur est un astéroïde ou une comète du système solaire qui a une trajectoire qui tend à s’approcher plus ou moins de celle de la Terre. D’ailleurs, on doit le terme « géocroiseur » à Alain Maury lui-même.
Le système solaire s’est formé il y a 4,6 milliards d’années ; il est composé de huit planètes disposées sur des orbites stables sur de longues échelles de temps et aussi de corps de plus petite taille qui, pour différentes raisons ne se sont pas agglomérés au moment de la formation du système solaire.
Il y a d’une part les astéroïdes que l’on trouve principalement dans la ceinture d’astéroïdes sur une orbite située entre celle de Mars et celle de Jupiter c’est-à-dire à environ 400 millions de km du Soleil ; et d’autre part il y a les comètes qui se situent bien au-delà des planètes externes au sein de la ceinture de Kuiper.
On pense qu’il existe plus d’un million d’astéroïdes de plus d’un kilomètre de diamètre au sein de cette fameuse ceinture d’astéroïdes dont Vesta et Cérès pour les plus gros, respectivement découverts en 2011 et 2015.
L’orbite de ces corps rocheux est souvent peu stable sur le long terme et peut être modifiée par effet gravitationnel sous l’influence de Jupiter. Ces objets peuvent être également éjectés de leur trajectoire suite à une collision.
Les corps dont le périgée (c’est-à-dire la distance la plus proche du Soleil) est à moins de 1.3 Unités Astronomiques (UA) du Soleil sont considérés comme des géocroiseurs et sont susceptibles d’impacter la Terre. Rappelons qu’une UA représente la distance Terre-Soleil soit environ 150 millions de kilomètres. Les corps qui passent à moins de 7 millions de kilomètres de la Terre (0.05 UA) et dont le diamètre est supérieur à 140 mètres présentent un risque accru de collision.
Il existe quatre familles de géocroiseurs :
- les astéroïdes APOLLON circulent la plupart du temps à l’extérieur de l’orbite terrestre mais y entrent régulièrement avec un rayon orbital moyen de plus d’une UA et un périhélie (distance la plus proche du Soleil) inférieur à 1.017 UA.
- les astéroïdes ATON (comme 2023 DW) restent la plupart du temps à l’intérieur de l’orbite terrestre mais la dépassent régulièrement pour atteindre leur apside (distances extrêmes de l’orbite d’un corps céleste, pour lesquels la distance au corps est soit minimale soit maximale), leur rayon orbital moyen est inférieur à une UA et l’aphélie (distance la plus éloignée du Soleil) supérieure à 0.983 UA.
- les astéroïdes AMOR évoluent toujours à l’extérieur de l’orbite terrestre mais à l’intérieur de celle de Mars ; ils ont un rayon orbital moyen supérieur à une UA.
- les astéroïdes ATIRA évoluent toujours à l’intérieur de l’orbite terrestre ; le rayon orbital moyen des ces astéroïdes est inférieur à une UA.
Et puisque nous en sommes à définir certains termes, permettez-moi de préciser les suivants :
- un météoroïde est un objet géocroiseur dans l’espace
- un météore est un objet manifestant un phénomène brillant lors de son passage dans l’atmosphère terrestre
- une météorite est ce même objet lorsqu’il touche le sol.
Les géocroiseurs font l’objet d’une surveillance accrue notamment de la part de la NASA depuis la fin des années 90 avec la création de la « planetary defense », programme visant à améliorer les capacités de détection des géocroiseurs, leur étude, et éventuellement la gestion de leur trajectoire (A lire aussi : [Mission accomplie pour la sonde DART !]).
En 2019, ce ne sont pas moins de 20 000 géocroiseurs qui ont été recensés dont 1000 environ mesurent plus d’un kilomètre de diamètre. La NASA estime qu’environ 85 000-87 000 objets par an échouent sur Terre et dont la majorité pèsent moins d’un gramme. Il en tombe très certainement plus mais beaucoup tombent dans des zones peu accessibles ce qui ne facilitent pas leur recensement. Evidemment, plus l’objet est de petite taille et plus il est difficile à détecter mais il semblerait que les moyens de détection soient de plus en plus performants, en témoigne l’objet 2023 DW.
Alors que sait-on pour l’instant de 2023 DW ?
C’est un astéroïde géocroiseur de type Aton, d’une cinquantaine de mètres de diamètre, qui fait le tour du Soleil en 271 jours à une distance comprise entre 74 et 171 millions de kilomètres (soit respectivement 0.49 et 1.14 UA).
Sa taille évoque celle de l’astéroïde qui s’est fragmenté en haute atmosphère en 1908 à Toungouska en Sibérie annihilant plus de 2000 km² de forêt dans un rayon de 20 km et produisant une détonation qui a été entendue dans un rayon de 1500km. Des comme celle-ci, la Terre en croise une tous les millénaires…
Les données actuelles indiquent une probabilité de 99.7% que l’objet passe à une distance de la Terre comprise entre 2000 et 15 millions de kilomètres du centre de notre planète dont le rayon fait 6371 km. Ceci fait entendre qu’un impact avec la Terre est assorti d’une probabilité non nulle bien que très faible puisque la « Small body database » du Jet propulsion laboratory évoque une distance probable de 1.8 millions de kilomètres de la Terre (soit environ cinq fois la distance Terre-Lune).
Aujourd’hui la probabilité d’impact est de 0.18% donc pas vraiment de quoi s’inquiéter. Aussi, outre le partage de toutes ces informations concernant les géocroiseurs, il me paraissait important de souligner encore et encore le fait qu’un chiffre et/ou une date doivent toujours être pris avec la plus grande précaution. Beaucoup de titres provenant de sources très diverses (surtout depuis l’avènement des réseaux sociaux) pourraient nous faire entendre que nous sommes tous et toutes condamné(e)s à passer la pire des Saint-Valentin en 2046. Force est de constater qu’il vaut mieux réfléchir avant de frémir…
Cette découverte est même une très bonne nouvelle puisqu’elle montre que malgré des budgets jugés souvent insuffisants, les moyens de détection s’affinent. Et même avec des précisions de plus en plus importantes, la compilation de données a fait passer la probabilité d’impact de 2023 DW successivement de 1/560 puis 1/340 et enfin 1/670 en dernière estimation. Bref, attention à bien mettre en perspective les données et se maintenir éloigné des titres les plus racoleurs…