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Le 22 avril depuis 51 ans c’est la Journée de la Terre. Une journée, aujourd’hui reconnue par l’ONU et les autres organisations internationales, qui pour sa première édition en 1970 mobilisa 20 millions de personnes dans les rues des Etats-Unis. Oui, Journée de la Terre et le premier mai comme Fête du travail nous viennent de mouvements sociaux d’outre-Atlantique – nous ne sommes pas toujours les champions de la protestation. Alors que le projet très discuté de “loi climat” a pris le chemin de la navette parlementaire, nous souhaitons évoquer la Journée de la terre, avec un “t” minuscule. Une Journée de la terre sèche plus exactement. Le manque d’eau ? En Normandie ? Territoire avec une ville connue pour ses parapluies, son climat océanique doux en hiver, doux en été, où les vaches des publicités paissent une herbe vert tendre et grasse.

L’imaginaire des Français.es est débordant quand il s’agit de parler de la météo normande (et en particulier le point de Cherbourg sur la carte météo, ce point toujours plus bleu que les autres où s’y accroche un nuage gris). Cependant, la sécheresse est un phénomène qui touche la France de plus en plus souvent et intensément, et cela se ressent également dans notre région. L’objectif de cet article est triple : voir l’évolution de la sécheresse dans le temps en Normandie et les conséquences à venir, découvrir des bases de données en libre accès, et casser un stéréotype.

La sécheresse est-elle une question de météo ?

La réponse pourrait être normande, car c’est oui et non. De fait, la sécheresse est une période de temps caractérisée par un déficit en eau et suffisamment longue pour causer un important déséquilibre hydrologique. Elle fait partie des extrêmes climatiques observés par les chercheurs, qui distinguent trois types de sécheresses :

  • la sécheresse météorologique : un déficit prolongé de précipitations ;
  • la sécheresse agricole : un déficit en eau des sols superficiels (entre 1 et 2 m de profondeur), suffisant pour altérer le bon développement de la végétation. Elle dépend des précipitations, de l’humidité et de la température de l’air, du vent mais aussi de la nature des plantes et des sols ;
  • La sécheresse hydrologique : un niveau anormalement bas des lacs, rivières, nappes souterraines.

La sécheresse est d’abord causée par un manque de pluie (sans forcément être synonyme de chaleur, elle peut donc nous toucher en plein hiver). Cependant elle est accentuée par d’autres facteurs météorologiques (et climatiques sur le long terme), comme la hausse des températures qui accentue l’évaporation, et des facteurs anthropiques, telles que l’irrigation en agriculture ou l’utilisation de l’eau pour l’industrie (même si la consommation de l’eau pour la production d’énergie n’est pas comptabilisée car les volumes sont restitués au milieu).

Des mesures régionales plus précises :  l’herbe verte, bientôt une fiction ?

Depuis 2017, la région connaît des étés chauds et secs, avec des hivers pas toujours efficaces pour recharger les réserves en eau (de surface et souterraine). Une météo qui redonne le sourire aux offices de tourisme et aux serveurs des paillotes, mais qui implique également la multiplication des assecs [assèchement d‘un cours d’eau, qualifié lorsque l’eau est totalement évaporée ou infiltrée sur 50% de sa longueur], des nappes souterraines au niveau anormalement bas, qui sont ensuite surexploitées par l’irrigation pour sauver les cultures… elles-mêmes en manque d’eau. La difficulté pour certaines communes normandes de s’approvisionner en eau potable est devenue une réalité ces derniers étés, malgré les arrêtés “sécheresse” récurrents pour tenter de diminuer le risque de pénurie.

Été 2018 : du vert au brun en quatre semaines. Images satellites du programme européen Copernicus.
https://www.copernicus.eu/sites/default/files/images/media/high/397471-From_green_to_brown_in_a_month.jpg

2017, 2018, … c’est récent ! Mais grâce au travail des scientifiques il est possible de connaître l’évolution de la sécheresse en France — sur un maillage plus fin que les études complémentaires des systèmes climatiques de la planète — et ainsi comparer ces mesures à la situation actuelle. Comme mentionné plus haut, la sécheresse est causée par plusieurs facteurs (précipitations, état du sol, niveau des masses d’eau), différents indicateurs sont alors suivis par des mesures sur le terrain, via les satellites, et ensuite des modélisations. Le recours à la modélisation permet d’une part de pallier le manque de mesures dans le passé, et d’autre part, en s’appuyant sur les scenarii climatiques calculés pour le XXIème siècle, de simuler les sécheresses futures à l’échelle locale.

L’ouverture des données scientifiques, enjeu démocratique et utilité publique

Allons-nous pouvoir faire pousser les mêmes pommiers ? La sécheresse c’est pas nouveau, tu te rappelles de 76 ?! [Non, pas personnellement.] C’est pas compliqué de trouver les réponses des scientifiques ?

Pour vous éclairer un peu sur l’évolution de la sécheresse passée et future, direction un site internet que nous connaissons tous.toutes : Météo France ! En effet, le site internet de Météo France n’a pas qu’une page dédiée aux prévisions à sept jours dans votre commune, mais propose par exemple une application Climat HD permettant d’avoir une approche régionale, synthétisant les données disponibles depuis les années 1950. Le détail des données issues de 30 paramètres est quant à lui en libre accès sur la plateforme DRIAS, les futurs du climat où chacun.e peut sélectionner période, limites géographiques, variables, modèles, selon sa curiosité ou ses besoins. Cette ouverture directe des connaissances permet à n’importe qui de se les approprier, et d’aider à la prise de décision — de l’équipement de son jardin aux semences à choisir, en passant par les investissements à prévoir pour les infrastructures de production d’eau potable. Sans abonnement ni accès spécifique aux professionnel.le.s, nous pouvons consulter et croiser les informations issues de dizaines d’années de recherche internationale ! Et c’est presque ludique. Concrètement, nous pouvons nous focaliser sur la Normandie avec ces outils, ajoutés aux rapports locaux de la DREAL et autres agences de l’Etat, nous apprenons que  :

  • Jusqu’à aujourd’hui: la pluviométrie (renseignée depuis le XIXème siècle) permet de mesurer les sécheresses météorologiques. Pour la Normandie, les mesures exploitables datent d’après 1958. Celles-ci révèlent une forte variabilité entre les années, mais pas de tendance marquée sur la période 1959-2009.
    En 2050: le scénario intermédiaire (ni pessimiste, ni optimiste) ne prévoit pas de forte baisse ou de hausse des précipitations. Mais le contraste entre les saisons sera marqué, avec de fortes pluies en hiver par rapport à aujourd’hui (et potentiellement des épisodes courts mais intenses), et moins en été.
  • Jusqu’à aujourd’hui: pour la sécheresse agricole, on mesure le taux d’humidité du sol. Celui-ci est cyclique sur une année : plus haut en décembre-janvier-février, et plus bas en juillet-août-septembre. En 50 ans, la période sèche estivale s’est allongée, et commence 10 jours plus tôt, et la période de sol très humide un peu moins longue.Cette évolution se traduit par un accroissement du besoin en irrigation.
    En 2050: la comparaison entre la période passée (référence) et les projections temporelles proches montrent un assèchement important en toute saison ; avec un allongement de la période sèche et réduction de la période très humide dans les mêmes proportions.
  • Jusqu’à aujourd’hui: l’évolution des températures moyennes annuelles montre un net réchauffement depuis 1959. Les trois années les plus chaudes depuis 1959 en Basse-Normandie, 2011, 2014 et 2018, ont été observées au XXIème siècle. La hausse des températures induit une évaporation plus forte, agravant le phénomène de sécheresse. C’est visible dans les terres et sur le littoral.
    En 2050: quel que soit le scénario, les projections climatiques montrent une poursuite de la hausse des températures moyennes annuelles jusqu’aux années 2050. L’augmentation du nombre de journées chaudes (>25°C) est manifeste, mais avec des variations locales : plus on s’éloigne de l’océan plus le nombre de journées chaudes est important.
Température moyenne annuelle à la pointe de La Hague

Les bottes, au placard ?

Les mesures collectées depuis une cinquantaine d’années révèlent que la Normandie a été jusque-là préservée des phénomènes de sécheresse, hormis quelques épisodes exceptionnels. De plus, son climat même s’il connaît des évolutions n’a pas drastiquement changé ; ce qui complexifie l’appréhension des changements climatiques puisque les variations régionales sont grandes. Ainsi, sur la même période, les régions de Béziers et Montpellier sont passées d’un climat méditerranéen à semi-aride (où l’évaporation peut excéder les précipitations), et Toulouse, d’océanique dit dégradé à méditerranéen. 

Toutefois, l’image du bocage bien vert et du ciré porté en juillet semble s’estomper progressivement. Les deux dernières décennies attestent de sécheresses plus longues et plus récurrentes comparées à la période précédente (1959-1990). Et en se basant sur les modèles climatiques calculés pour la suite du XXIème siècle, les simulations régionales affichent aussi une augmentation de l’assèchement des sols et masses d’eau. Après 2050, les sécheresses alors exceptionnelles du XXème pourraient être généralisées quelle que soit la saison. Dans la mesure où l’utilisation de l’eau pour l’irrigation croît chaque année depuis 2012, ces informations sur la météo future en Normandie interrogent sur les cultures adaptables ou non au manque d’eau, comme sur le paysage que nous aurons devant les yeux dans 20 ou 30 ans. Les hêtraies n’y résisteront sûrement pas, par contre des projets de vignobles normands sont déjà en route ! Notamment au mont Barbey à Carteret, ou à St Jean de la Haize près d’Avranches

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