Qui d’entre nous ne s’est jamais esclaffé de rire en apercevant un ami trébucher sur le trottoir, se cogner la tête en se relevant ou manquer une marche en montant l’escalier ?
Maladresses, déséquilibres, chutes, etc. Témoins de ces scènes, nous rions de bon cœur, souvent de façon incontrôlable. Est-ce que nous ne devrions pas éprouver au contraire de l’empathie pour l’autre, qui se retrouve dans une situation de vulnérabilité, potentiellement humiliante ? Rassurez-vous, nous ne rions pas nécessairement par manque d’empathie ni par sadisme.
Geneviève Beaulieu-Pelletier, psychologue clinicienne experte de la régulation des émotions, apporte un éclairage sur les ingrédients dans ces situations qui ont un grand potentiel de déclencher nos rires souvent bienveillants.
Le premier de ces ingrédients est l’effet de surprise. Plus spécifiquement, c’est de voir une personne surprise par une situation de la vie quotidienne, alors que tout était sous contrôle pour elle quelques secondes auparavant. La situation inattendue nous surprend et crée un écart avec le prévisible, avec ce qu’on s’attendait à voir.
Cette situation incongrue souligne nos erreurs de prédictions et, finalement, la suite s’impose de façon inattendue. Nous avons commis une erreur dans notre prédiction de ce qui allait survenir. Ce n’est plus cohérent. Rire de la situation serait une manière de résoudre l’incongruité en formulant une nouvelle interprétation comique plus cohérente de ce dont nous sommes témoin.
Face à cette situation surprenante et incongrue, notre cerveau part à la recherche d’informations qui nous permettront d’interpréter ce qui se passe et de réagir en conséquence. Qu’est-ce que le visage de la personne qui trébuche nous communique ? Ce qu’on va y décoder va être déterminant de notre réaction.
Une étude a exploré cette avenue de recherche auprès de participants qui devaient visionner 210 images représentant trois types de visages:
- des visages exprimant un air perplexe ;
- des visages exprimant de la souffrance ou de la colère ; et.
- des personnes avec le corps placé dans des positions malencontreuses, sans que le visage ne soit visible
Un surplus de 20 images de paysages avait été ajoutées à travers l’ensemble des photos, pour confondre les participants quant au but de l’étude. Il leur était d’ailleurs demandé d’appuyer sur un bouton chaque fois qu’apparaissait une image de paysage. Les participants devaient également indiquer à quel point ils trouvaient chaque image drôle, et leur activité cérébrale était enregistrée durant la tâche.
Au terme de l’étude, les participants ont évalué les images présentant les visages perplexes comme étant les plus drôles, devant celles sur lesquelles les visages exprimaient de la souffrance ou de la colère, et plus drôles encore que les images présentant des situations burlesques sur lesquelles l’expression du visage était masquée. Les données cérébrales ont également soutenu l’expression du visage comme étant un ingrédient à la base de notre hilarité dans ces situations saugrenues.
Ainsi, lorsqu’on perçoit de la perplexité dans l’expression du visage de la victime de maladresse (air interloqué, surpris, ahuri), on en rit. Au contraire, si on lit dans l’expression du visage de la souffrance ou de la colère, on est touché par la détresse de la victime de la chute, ce qui nous prévient de rire. Nos circuits neuronaux ont donc la capacité de reconnaître et d’apprécier les éléments drôles des situations de malchance, en analysant le contexte comme étant non-menaçant.
Ainsi, soyons pardonnés de rire dans des situations comiques de maladresse d’autrui ! Nous ne rions pas de la souffrance ni de la détresse de l’autre ; nous réagissons à la surprise, à l’incongruité et à l’expression ahurie de l’autre, en ayant décodé qu’il ne soit pas en détresse ni ne s’est vraiment fait mal.