Il y a dix ans, le 4 juillet 2012, les collaborations ATLAS et CMS annonçaient la découverte du boson de Higgs.
« Je pense que nous l’avons, n’est-ce pas ? », telle était la question posée par le Directeur général du CERN de l’époque, Rolf Heuer, le 4 juillet 2012, dans l’amphithéâtre principal du Laboratoire. La réponse était évidente, tout comme l’émotion qui se lisait sur les visages des personnes rassemblées en nombre pour l’événement. Les porte-parole d’ATLAS et de CMS de l’époque, Fabiola Gianotti et Joe Incandela, venaient de présenter les derniers résultats des recherches sur le boson de Higgs, portant sur environ deux ans d’exploitation du LHC. Tout indiquait l’annonce imminente de la découverte du boson de Higgs. Les principaux découvreurs du mécanisme de Brout-Englert-Higgs expliquant l’origine des masses des particules fondamentales du modèle standard, comme le boson W, étaient aussi présents, à l’exception notable de Robert Brout, décédé en 2011, trop tôt pour voir la confirmation de la théorie qu’il avait proposée conjointement avec François Englert en 1964.
Le boson de Higgs est la particule la plus intéressante du Modèle standard, et celle qui est venue le parachever. Lié à plusieurs des plus grands mystères actuels de la physique, il restera dans les prochaines années un important sujet d’étude pour les expérimentateurs comme pour les théoriciens.
Depuis 2012, nous en avons appris beaucoup sur les propriétés de la nouvelle particule, mais nous ne sommes encore qu’au début de cette exploration. Si l’on remonte aux premières recherches sur le boson de Higgs, la masse que pouvait avoir cette particule n’était pas connue : le Modèle standard ne pouvant la prédire, il fallait donc la mesurer. De fait, en 1975, dans le premier article publié décrivant les possibles signatures expérimentales de la particule, la gamme de masses envisagées pour le Higgs à cette époque s’étendait sur quatre ordres de grandeur, allant de 18 MeV à plus de 100 GeV.
Au 4 juillet 2012, la situation est radicalement différente. Le fait de n’avoir pas détecté le Higgs dans les collisionneurs précédents, notamment le LEP au CERN et le Tevatron au Fermilab, a conduit à établir que sa masse devait être supérieure à 114 GeV, alors que la théorie la situe obligatoirement au-dessous d’environ 800 GeV. Une fois le LHC du CERN mis en route, le boson de Higgs n’avait plus beaucoup de place pour se cacher : si le Higgs se trouvait dans la gamme d’énergies définie, le LHC pourrait sûrement le produire.
La chasse au Higgs pouvait alors commencer. Les physiciens d’ATLAS et de CMS allaient relever d’immenses défis sur le plan de la résolution en énergie et de la capacité d’identification des détecteurs, sans parler des énormes volumes de données à traiter. Le résultat de ces recherches se résumait finalement à deux graphiques. La découverte ne faisait aucun doute pour chaque collaboration, la signification statistique dépassant le seuil des 5 sigmas requis pour qu’on puisse parler de découverte.
L’annonce de la nouvelle particule s’est propagée instantanément dans le monde entier, mettant la science sur le devant de la scène. L’enthousiasme était unanime, ce qui montre l’impact que peut avoir de telles découvertes quand elles touchent aux constituants fondamentaux de la nature.
Le LHC démarre sa troisième phase d’exploitation
Une nouvelle période d’acquisition de données a commencé mardi 5 juillet 2022 pour les expériences auprès de l’accélérateur de particules le plus puissant du monde, le Grand collisionneur de hadrons (LHC), après plus de trois ans de travaux d’amélioration et de maintenance. Le LHC fonctionnera en continu pendant près de quatre ans à l’énergie de collision record de 13,6 milliers de milliards d’électronvolts (TeV), apportant aux expériences une précision inédite et un potentiel de découverte incomparable.
Les quatre grandes expériences du LHC ont apporté d’importantes améliorations à leurs systèmes de lecture et de sélection des données, avec l’intégration de nouveaux systèmes de détecteurs et d’une nouvelle infrastructure informatique. Par rapport aux périodes d’exploitation précédentes, ces modifications leur permettront de collecter des échantillons de données beaucoup plus grands, avec des données de meilleure qualité. Les détecteurs ATLAS et CMS s’attendent à enregistrer plus de collisions pendant la troisième période d’exploitation du LHC que lors des deux périodes précédentes réunies. L’expérience LHCb a été entièrement remise à niveau et prévoit de multiplier par dix son débit d’acquisition de données, tandis qu’ALICE a pour objectif de multiplier par cinquante le nombre de collisions enregistrées – une hausse considérable.
Grâce à des échantillons de données plus volumineux et à une énergie de collision plus élevée, la troisième période d’exploitation permettra d’étendre encore le programme de physique déjà très diversifié du LHC. Dans les expériences, les équipes étudieront la nature du boson de Higgs avec une précision sans précédent, et dans de nouveaux canaux. Elles pourront observer des processus qui étaient jusqu’à présent inaccessibles, et aussi améliorer la précision des mesures de nombreux processus connus en rapport avec des questions fondamentales, telles que l’origine de l’asymétrie matière-antimatière dans l’Univers. Les scientifiques étudieront les propriétés de la matière à des températures et des densités extrêmes. Ils chercheront également des candidats pour la matière noire et pour d’autres phénomènes nouveaux, soit par des recherches directes, soit de façon indirecte par des mesures précises des propriétés de particules connues.
Équipé pour pouvoir accueillir un faisceau plus intense, le LHC permettra aux scientifiques de collecter davantage de données pendant la troisième période d’exploitation (qui se prolongera jusqu’à la fin 2025) que pendant les deux périodes d’exploitation précédentes réunies. La saison de physique qui va s’ouvrir se concentrera sur l’étude des propriétés du boson de Higgs et la recherche d’une physique au-delà du Modèle standard de la physique des particules.
Les mesures de la désintégration du boson de Higgs en particules de deuxième génération telles que les muons est particulièrement attendue. Ce serait là une première confirmation que des particules de deuxième génération acquièrent également leur masse par le mécanisme de Higgs. L’intensité des interactions du boson de Higgs avec les particules de matière et les particules porteuses de force seront mesurées avec une précision inédite.
Avec le Futur collisionneur circulaire, le CERN prépare l’avenir de la physique des particules
L’étude sur un futur circulaire (FCC) est déjà en cours au CERN. Il pourrait avoir une circonférence de 100 km, et permettrait d’atteindre des énergies sept fois plus grandes que l’actuel LHC dont la phase dite « haute performance » sera arrivera à son terme vers 2040. collisionneur
La mission du FCC sera de repousser les frontières de l’énergie et de l’intensité des collisionneurs de particules, le but étant d’atteindre des énergies de collision de 100 TeV, dans la perspective de la recherche d’une nouvelle physique.
Une collaboration internationale réunissant plus de 150 universités, instituts et partenaires industriels du monde entier développe différentes possibilités de collisionneurs circulaires, ainsi que des installations de détection nouvelles, ce qui implique de se pencher sur l’infrastructure associée, les coûts estimatifs, les scénarios d’exécution du projet au niveau mondial, et les structures de gouvernance internationale appropriées.
La découverte du boson de Higgs a été une étape importante dans les efforts de longue date visant à achever le modèle standard de la physique des particules. Ce modèle est une théorie auto-cohérente et prédictive, qui s’est jusqu’à présent avérée efficace pour décrire tous les phénomènes accessibles aux expériences de collisionneur.
Pourtant, le modèle standard ne peut pas expliquer certaines observations, telles que l’abondance de matière sur l’antimatière, l’existence de la matière noire ou le fait que les neutrinos soient de masses non nulles. Des problèmes théoriques tels que le problème de la hiérarchie et, plus généralement l’origine dynamique du mécanisme de Higgs, indiquent l’existence d’une physique au-delà du modèle standard.
L’étude FCC examine des scénarios pour trois types différents de collisions de particules :
- FCC-hh pour des collisions de hadrons (proton-proton et ions lourds), comme dans le LHC,
- FCC-ee pour des collisions électron-positon, comme autrefois dans le LEP,
- Et d’autres options telles que des collisions proton-électron ou proton-ions lourds.
Des études sur la physique et sur les détecteurs sont en cours pour chaque option. Parallèlement, des équipes d’experts effectuent une analyse approfondie de l’infrastructure, des concepts opérationnels et des technologies essentielles requises.
Lle CERN a été chargé d’une étude de faisabilité technique et financière du FCC, à réaliser pour la prochaine mise à jour de la stratégie européenne pour la physique des particules, prévue en 2027.
Le projet FCC offre un riche programme expérimental couvrant près d’un siècle. La précision sans précédent et la portée à haute énergie étendront bien au-delà du LHC notre recherche de réponses aux questions les plus fondamentales.
S’il est important d’anticiper les découvertes possibles au FCC, qui peuvent concerner des énigmes fondamentales en physique comme la nature de la matière noire ou l’origine de l’asymétrie du baryon, il est également important de garder à l’esprit les livrables du projet qui ne sont pas spéculative, y compris la découverte des interactions du boson de Higgs avec lui-même.