Le Prix Nobel de physiologie ou médecine 2025 a été décerné à trois chercheurs — Shimon Sakaguchi, Mary E. Brunkow et Frederick J. Ramsdell — pour leurs découvertes sur la tolérance immunitaire périphérique, un mécanisme clé permettant au système immunitaire de ne pas attaquer l’organisme lui-même. Cette avancée, longtemps jugée comme de la recherche fondamentale, est désormais au cœur de multiples innovations biomédicales et biotechnologiques.
Le système immunitaire est souvent présenté comme un dispositif de défense chargé d’éliminer virus, bactéries et cellules anormales, mais sa puissance doit être maîtrisée : une immunité « débridée » peut provoquer des maladies auto-immunes (comme la sclérose en plaques ou le lupus), des inflammations chroniques, voire des rejets de greffes.
Les trois lauréats ont contribué à mieux comprendre un mécanisme de « frein » immunitaire naturel. Ils ont mis en évidence un type spécifique de cellules immunitaires, appelées lymphocytes T régulateurs (ou Tregs), et le rôle du gène FOXP3 dans leur développement et leur fonction. Ces cellules, sous-population des globules blancs, n’ont pas pour rôle d’attaquer les pathogènes, mais au contraire de freiner ou moduler l’activité immunitaire pour éviter les excès, agissent comme des modérateurs du système immunitaire, évitant qu’il ne s’attaque au « soi ».
Ils permettent le maintien de la tolérance immunitaire, c’est-à-dire la capacité de l’organisme à ne pas s’attaquer à ses propres cellules (auto-immunité) ni à des éléments normalement tolérés (comme un fœtus pendant la grossesse ou un organe greffé).
Les travaux récompensés en 2025 remontent aux années 1990 et 2000. À l’époque, leur portée était encore incertaine. Aujourd’hui, ils constituent la base de multiples pistes thérapeutiques :
- Traitement des maladies auto-immunes : plutôt que de supprimer globalement l’immunité (avec des immunosuppresseurs), on cherche à renforcer les Tregs pour rétablir un équilibre immunitaire spécifique.
- Greffes d’organes : stimuler la tolérance immunitaire permettrait d’éviter les rejets tout en limitant la prise de médicaments à vie.
- Cancer et immunothérapie : dans certaines situations, il est nécessaire d’inhiber les Tregs pour réactiver une réponse immunitaire efficace contre les tumeurs.
- Thérapies cellulaires : des essais cliniques testent l’injection de Tregs modifiés ou cultivés in vitro pour soigner des maladies inflammatoires graves.
La compréhension fine des Tregs permet aujourd’hui d’envisager deux types de stratégies thérapeutiques. La première consiste à les renforcer dans les maladies auto-immunes, la greffe ou les allergies, pour calmer une immunité trop active. Elle repose alors sur des injections de Tregs purifiés et amplifiés in vitro (thérapie cellulaire) ou la stimulation pharmacologique (molécules qui favorisent leur activité). La seconde consiste au contraire à les inhiber dans le cancer, pour libérer la réponse immunitaire contre les cellules tumorales, par des anticorps bloquant leurs récepteurs (ex. anti-CTLA-4).
Plusieurs essais cliniques sont en cours pour adapter ces stratégies à différentes maladies, notamment dans les domaines de la rhumatologie, de la neurologie ou de l’oncologie.
Ce Nobel illustre un changement de paradigme : l’enjeu n’est plus seulement de stimuler ou de freiner l’immunité, mais de la moduler intelligemment, en s’appuyant sur une compréhension fine des circuits biologiques. Il témoigne aussi de la manière dont des travaux de recherche fondamentale, menés sur la souris ou en génétique, peuvent déboucher deux décennies plus tard sur des approches thérapeutiques concrètes, voire des innovations industrielles majeures.
En somme, ce prix Nobel 2025 consacre une avancée qui relie la biologie moléculaire, l’immunologie clinique et les biotechnologies industrielles. C’est un exemple inspirant de la manière dont la science et la technique se conjuguent pour transformer la médecine contemporaine.
