Depuis quelques décennies, un champ de la chimie des matériaux suscite un enthousiasme grandissant : la mise au point de structures poreuses extrêmement ordonnées, capables d’interagir de façon « sur‑mesure » avec des gaz, des liquides ou des molécules fines. Ces matériaux, construits à l’échelle moléculaire, se sont imposés comme de véritables plateformes technologiques, à la fois dans la recherche fondamentale et dans des applications industrielles ou environnementales.
Imaginez un cristal fait de « coins » métalliques reliés par de longues molécules organiques, formant un maillage tridimensionnel dans lequel s’ouvrent des cavités, des « pièces » vides dans lesquelles d’autres molécules peuvent entrer, séjourner, puis repartir. Ces cavités peuvent atteindre des surfaces internes gigantesques par rapport au volume extérieur. Le procédé d’assemblage repose sur la chimie de coordination : des ions métalliques (cuivre, zinc, etc.) se lient à des ligands organiques (par exemple des acides dicarboxyliques) et forment des réseaux réguliers. Ces matériaux sont appelés « cadres métal‑organiques » ou « metal‑organic frameworks » (MOF) en anglais.
L’un des aspects fascinants de ces matériaux est leur surface spécifique, c’est‑à‑dire la surface interne accessible aux molécules par rapport à la masse de matériau, conduisant à des fonctions clairement utiles de ces cavités ultra‑poreuses. Ainsi, elles peuvent accueillir des molécules de gaz, les retenir, les relâcher.
Leur modularité est remarquable : on peut modifier le métal, le ligand, la topologie du réseau, et ainsi adapter les propriétés pour un usage donné.
Prenons un exemple plus concret. Un chercheur conçoit un cadre à base de zinc et d’un ligand spécifique. Il obtient un solide cristallin dans lequel s’ouvre un système de canaux réguliers. Quand on expose ce solide à un gaz (par exemple de l’hydrogène ou du dioxyde de carbone), ce gaz peut pénétrer, être retenu à l’intérieur, puis éventuellement être relâché sous contrôle. On peut modifier la taille des pores, la nature chimique des parois, la polarité interne — ce qui permet de viser un gaz plutôt qu’un autre, une molécule plutôt qu’une autre.
Dans l’industrie et l’environnement, cette versatilité offre un potentiel majeur. Pour le climat, on pense à la capture du CO₂ à la source ou dans l’atmosphère. Pour les ressources en eau, on peut envisager des matériaux qui « aspirent » l’humidité de l’air, même dans un désert, puis la restituent. Dans la chimie verte, ces cadres permettent de rendre les procédés plus efficaces, de réduire le gaspillage, d’isoler des substances toxiques ou de recycler des flux difficiles. Enfin, dans la santé ou l’électronique, les variantes de ces structures peuvent être conçues pour transporter des médicaments, filtrer des polluants émergents (comme les « forever chemicals »), ou servir de plateformes pour la recherche des matériaux quantiques.
Ce champ de recherche, qui a émergé dans les années 1990 à 2000, repose à la fois sur la compréhension de la chimie de coordination, de la cristallographie, de la théorie des réseaux et de la physique des gaz adsorbés. Il a demandé de repenser la notion de matériau « statique » pour lui donner des fonctions d’accueil et de libération, d’échange dynamique.
Les cadres métal‑organiques décrits ci‑dessus, souvent désignés par l’acronyme MOF (Metal‑Organic Frameworks) sont de matériaux prometteurs. Plus encore, leurs défis et leurs promesses ont trouvé une reconnaissance capitale puisque le Prix Nobel de chimie 2025 a été attribué à trois scientifiques, Susumu Kitagawa, Richard Robson et Omar M. Yaghi, pour « le développement de cadres métal‑organiques (MOFs) ».
Ainsi, ces matériaux ne sont pas seulement de belles curiosités de laboratoire, mais les MOFs sont un champ actif déjà récompensé et à fort potentiel, preuve que la chimie moderne est créative, utile, et pleine d’avenir.
