Celui ou celle qui prétend qu’il faut être professionnel pour découvrir et faire avancer la science se trompe lourdement. C’est ce qu’un collectif d’astronomes amateurs vient de démontrer en mettant en évidence une étrange structure relativement proche de la galaxie d’Andromède (aussi nommée M31 dans le catalogue de l’astronome français Charles Messier (1730-1817)), structure qui n’a jamais été rapportée dans la littérature scientifique jusqu’à présent.
La galaxie d’Andromède, située à 2.55 millions d’années-lumière de notre système, est la galaxie la plus proche de la voie lactée. Lorsqu’on en dresse le spectre (en spectroscopie donc) on s’aperçoit qu’elle s’approche de nous au lieu de nous fuir comme la plupart des autres objets astronomiques lointains. Et elle s’approche même de nous à grande vitesse. C’est en étudiant son décalage spectral vers le bleu que l’on estime sa vitesse d’approche (vitesse radiale qui mesure la vitesse à laquelle un astre se rapproche ou s’éloigne de nous) à environ 403 000 km/h.
On pense qu’une fusion avec la voie lactée (la galaxie à laquelle nous appartenons) aura lieu d’ici 4 à 5 milliards d’années, à peu près au même moment où le soleil aura atteint le stade de géante rouge. On a même déjà trouvé le nom de la future super-galaxie : milkomeda.
M31 est une grande galaxie spirale, deux fois plus large que notre Voie Lactée qui contient pourtant déjà entre 200 et 400 milliards d’étoiles avec un trou noir supermassif en son centre Sagittarius A* (imagé en mai 2022 par le réseau interférométrique Event Horizon Telescope).
On peut observer cette galaxie très facilement par un ciel bien clair et sans lune avec une bonne paire de jumelles. Il suffit pour cela de repérer le « W » de la constellation de Cassiopée, d’en suivre l’un des sommets et de voir même à l’œil nu qu’une petite nébulosité se niche entre Cassiopée et la constellation d’Andromède.
L’audace mène parfois à de grandes découvertes….
Revenons à notre équipe d’astronomes amateurs et tentons de comprendre comment ils sont parvenus à détecter une structure que personne d’autre n’avait encore détecté auparavant.
Lorsqu’on tente de produire des images d’astres (astrophotographie), il convient de respecter certains principes afin d’obtenir la photo la plus proche possible de la réalité. Pour cela, les astronomes disposent de tout un arsenal allant de l’appareil photo ou vidéo au système de guidage informatisé en passant par l’utilisation de différents filtres, instrument d’observation mis à part. C’est justement sur l’utilisation de ces filtres que je voudrai m’arrêter quelques instants.
Nous utilisons des filtres différents en fonction de l’astre que nous voulons imager et ceci afin d’améliorer la perception de ces objets. Ces filtres en verre sur lesquels il y a un dépôt multi-couche permettant d’éliminer certaines longueurs d’onde viennent se visser directement sur l’oculaire. A l’origine, les filtres ont été utilisés afin d’observer le ciel profond sous un ciel pollué par les lampadaires. Mais c’est sous un ciel bien noir que ces filtres révèleront toute la magnificence des objets du ciel profond dont les nébuleuses diffuses, les galaxies, les rémanents de supernovae et les nébuleuses planétaires. Les trois raies principales d’émission de ces nébuleuses sont l’hydrogène ionisé Hα (situé dans le rouge profond du spectre), l’oxygène III (aussi appelé OIII, à la limite du bleu-vert) et l’hydrogène β (dans le bleu). Ces filtres ne laissent pas passer les autres couleurs du spectre.
Les galaxies et les amas d’étoiles émettant dans toutes les couleurs du spectre, il ne faut pas utiliser ces filtres pour ce type d’objets. C’est pourtant exactement ce que ce collectif d’astronomes a fait. La raison pour laquelle on déconseille ces filtres pour l’observation de galaxies et qu’ils éliminent une grande partie de leur lumière, ce qui les rend de fait peu visibles…où est donc l’intérêt en observation astronomique ?
Aller au-delà des dogmes établis a ainsi permis de faire une découverte majeure. C’est aussi la passion qui anime les astronomes qui permet de repousser les limites de la connaissance, bien que M31 soit un des objets les plus photographié : le premier à l’avoir fait est d’ailleurs le britannique Isaac Roberts (1829-1904).
« Nullius in verbia » (ne croire personne sur parole), telle est la devise de la Royal Astronomical Society
Les astrophotographes ont d’abord utilisés des filtres à large bande spectrale pour révéler toute la beauté de cette galaxie puis c’est au tour des filtres en Hα d’être employés afin de mettre en évidence des régions de formations d’étoiles (les nébuleuses stellaires) sur les bras spiraux de M31. Augmenter le temps d’exposition de la galaxie permet également d’affiner les images et de mettre en évidence de fins nuages d’hydrogène qui sont situés parfois loin du premier plan de la galaxie qui apparait ainsi sur l’image comme transparente. C’est aussi de cette manière que des nébuleuses planétaires (résultant de la mort d’étoiles comme notre Soleil) et des rémanents de supernovae (résultat de la mort explosive d’étoiles plus massives) peuvent être observables.
La raie OIII se trouve dans tous les bras spiraux et bien au-delà du disque galactique et les teintes légèrement turquoises trahissent la présence de ces nébuleuses planétaires et autres rémanents de supernovae. Et avec la combinaison des différentes longueurs d’onde, les images révèlent la présence de structures dont nous ne soupçonnions pas l’existence. Et c’est là tout le génie du travail de cette équipe en août 2022. Ils ont révélé l’arc d’émission OIII de M31.
La nature de l’arc n’a pas encore été révélé mais il pourrait s’agir d’un résidu de supernova galactique ou de l’arc d’une ancienne nébuleuse planétaire. D’autres explications sont possibles comme le choc d’interaction entre le halo galactique de la voie lactée et celui d’andromède.
Saluons cette découverte qui n’a pas encore offert tous ses secrets et qui est le fruit d’une étroite collaboration entre astronomes amateurs et professionnels. L’astronomie a décidément de beaux jours devant elle.